Portrait du mois : Matthieu Désarnaud, l’exigence et l’humilité face à la montagne

  • 19 septembre 2022
  • Elus - Enseignants - Jeunes - Parents - Professionnels de l’animation

Actualités du réseau Portrait

“Cette interview, n’aurait pas été réalisée s’il n’existait, dans un coin des Pyrénées, un espace hors du temps, un lieu hors des sentiers battus, une petite grange dont notre portrait du mois est un des gardiens de l’histoire et des souvenirs familiaux qu’elle protège secrètement. Chaque été il y partage du temps avec des proches, sachant que ceux et celles qui sont là s’adapteront à l’esprit qui règne dans cette petite bulle d’oxygène, dans ce lieu accueillant et ouvert, accessible mais exigeant, in fine et sans aucun doute à l’image de mon hôte.”

« Parce que cet espace est une parenthèse »

dira-t-il en réponse à ma première question : “pourquoi avoir accepté cette interview à la seule condition qu’elle se déroule ici ? “
Si l’on entend que la parenthèse est une insertion distincte dans une phrase qui en précise le sens, peut-être comprendrez-vous d’emblée que les paroles livrées en ce lieu magique, coupé du monde, ont eu la couleur de la sincérité et de la générosité.

Soumise à la prestance du massif du Mont Perdu, sous les regards imposants des Taillon, Marboré et Vignemale, je me suis soudain sentie toute petite ne sachant pas, au moment de poser mes questions, si j’étais impressionnée par le site, ou par le personnage.

Un petit côté boulimique

Cette interview, Matthieu Désarnaud, directeur des PEP de l’Ariège, la voulait moins classique, moins formelle nous obligeant ainsi, et l’un et l’autre, à faire une pirouette.

Cette figure qui consiste en un mouvement de rotation, en un pas de danse, est incontestablement à l’effigie de son parcours.

Un parcours jamais tracé d’avance, fait de doutes, de perpétuels questionnements, d’une envie d’avancer, de créer, d’innover, d’être à l’affût du nouveau, de l’opportunité, de ce qui va tirer les gens et les organisations vers l’avant, de ce qui va servir le projet. Un petit côté « boulimique » sans doute, dira-t-il.

Lors de son embauche aux PEP de l’Ariège, la structure, qui n’a pas encore développé son volet médicosocial, compte 8 salarié·e·s.
Grâce au travail d’un CA et de professionnel·les engagé·e, aujourd’hui, ils et elles sont au nombre de 130 !

A l’écoute du sensible

Une évolution qui n’a pas été sans embûches mais l’association a essayé de gérer ces dernières en s’appuyant sur les atouts de la structure et sur les personnes qui la composent. Quitte à revoir l’organigramme, à faire tomber les cloisons sectorielles, à s’entourer de compétences nouvelles pour aller vers un nouveau projet plus fédérateur, plus social, plus engagé.

« Ce que j’aime dira-t-il, c’est sentir ce qui se passe chez les gens, c’est être à l’écoute des signaux d’alerte qu’ils envoient, consciemment ou inconsciemment ».

Cette capacité d’écoute l’a sans doute guidé dans ses premiers choix, même s’il a l’impression de ne pas vraiment en avoir fait au départ. « Vivre dans une famille d’enseignants, mais également de militants de l’éducation populaire m’a permis d’acquérir des codes ». Après une licence en géologie, c’est sans trop se poser de questions qu’il a par conséquent passé le concours de l’IUFM.

Le chemin se fait en marchant

Mais, se retrouver seul dans une classe n’était pas en adéquation avec ses aspirations. Un besoin de se confronter à la difficulté, d’œuvrer pour plus de justice sociale, l’ont amené vers l’enseignement adapté dans un premier temps. « A l’EREA de Pamiers, je n’étais pas qu’instit, je devais m’ajuster, travailler en équipe, affronter des difficultés sans cesse renouvelées, penser, imaginer, me dépasser ».

Il restera 8 années dans cet établissement mais, après le départ de deux enseignants qu’il considérait un peu comme ses mentors, il n’hésitera pas à saisir une opportunité qui passait par-là, les PEP, même s’il allait s’agir d’affronter l’inconnu.

Une opportunité, certes. Mais si l’on considère que passer de l’éducation spécialisée à une structure qui lutte contre la misère sociale en s’adressant aux plus démunis, si l’on considère que Matthieu Désarnaud, en plus de son ADN familial, était militant syndical et membre de la Ligue des Droits de l’Homme…nous sommes en droit de penser qu’il n’y a pas réellement de hasard dans ce cheminement.

Le travail social se caractérise par les interactions des individus, des familles, des groupes, avec leur environnement dans une visée de développement social et personnel…Cette fibre-là, notre portrait du mois l’avait incontestablement cultivée avant d’arriver au PEP.

Toujours plus loin dans l’exigence

Pourtant, parce que Matthieu est quelqu’un qui s’attache la compagnie du doute, il a éprouvé le besoin, pour exercer cette mission contrainte par un développement rapide de la structure, d’aller chercher une légitimité qu’il pensait ne pas avoir.

Pour comprendre une culture, un langage, des codes qui n’étaient initialement pas les siens, pour mieux dialoguer avec l’ensemble des acteurs qui gravitaient au sein et autour de l’association, il est allé chercher un diplôme de directeur d’établissement de l’intervention sociale tout en gérant de front une montée en charge structurelle.

Cette structure éducative et sociale est aujourd’hui profondément ancrée dans son environnement. C’est à ce titre que les PEP sont également impliquées dans la plateforme « Territoires Educatifs ».

Cette partie de notre discussion nous a incontestablement valu quelques digressions parallèles à l’interview. J’espère donc ne pas trahir la pensée de Matthieu Désarnaud en disant que si les PEP sont impliquées en tant qu’association d’éducation populaire c’est avant tout la dynamique de réseau et de partenariat qui motive cet engagement.

Matthieu reste convaincu que : « l’éducation populaire ne s’arrête plus aujourd’hui à son canal historique et que personne ne peut se revendiquer « gardien du temple ».  Que représente l’Éducation Populaire aujourd’hui ?  Sommes-nous bien certains des principes qui guident nos actions ?   Sont-ils les mêmes pour tout un chacun ? Nos organisations ne devraient-elles pas au contraire être en mesure de constater et d’assumer des singularités au lieu de chercher absolument à parler d’une seule et même voix ?   Le partenariat ariégeois n’aurait-il pas ainsi plus à gagner d’être dans un conflit créatif plus que dans un consensus chimérique ?  Et, au final, ne devrait-on pas passer plus d’énergie à faire, qu’à dire ? ».

Vastes questions amenées par notre personnage du jour qui trouveront je l’espère écho lors de la journée partenariale du 6 octobre prochain….

S’élever, toujours

Pour transition et parce que notre long échange devait arriver à sa fin, je lui ai demandé quels étaient ses points faibles dans sa vie professionnelle ; il a répondu sans hésitation : « avoir du mal parfois à trancher et à prendre une décision rapide…et ne pas pouvoir être plus souvent dans une forme de décision collégiale. »

Quant à ses points faibles dans sa vie personnelle, il reconnait pouvoir parfois sembler froid, distant, à la limite du revêche, diront peut-être certains, voire « bougon » penseront d’autres …mais restons persuadés que ces signes ne sont que la manifestation d’une envie d’aller à l’essentiel, d’être juste et sincère et d’avoir les mêmes exigences vis-à-vis de ses interlocuteurs.

Et ses points forts ? Après une réponse très sincère mais très personnelle il m’a dit : « Secret défense ! », alors vous ne m’en voudrez pas de respecter ce vœu.

Au fil de notre discussion il m’a également évoqué l’un de ses films préférés : « La ballade de Narayama » de Shôhei Imamura. « Pour sa grande humanité », dira-t-il, mais, ne connaissant pas cette œuvre j’ai eu, au moment de la rédaction de ce portrait, la curiosité de lire sa critique. Et il est dit entre autre : « en voyant ce film, nous éprouvons la sourde conviction que l’homme est appelé à s’élever au-dessus de lui-même et peut toujours – quoi qu’il lui en coûte – surmonter sa petitesse, sa misère ou son insignifiance. »

C’est avec cette pensée conclusive, alors non conscientisée, que je me retrouvais toujours au pied des Tallion, Marboré et Vignemale, ne doutant plus du sens de cette « parenthèse humaniste » qui amenait peut-être inconsciemment ce personnage à s’élever au-dessus de lui-même. Impressionnant !!!

Interview et portrait réalisés par Nadine Bégou